Trois siècles d’Histoire
Belle-Noë est édifiée au début du XVIII ème siècle par le chevalier Georges de La Haye, seigneur d’Andouillé et de Cesson.
Elle devient dans la seconde moitié du XVIII la propriété de Gilles-François Sébire. Agriculteur, administrateur suppléant du Directoire et membre du comité d’agriculture, il s’engagea pour obtenir des fonds pour réparer et entretenir les digues du marais de Dol. L’almanach royal de 1792 rapporte que : « cet honorable est plus occupé à cultiver sa terre que son esprit. Il a eu raison, il y trouvait mieux son compte ». (l’humour n’est pas charitable…).
La révolution survint
Devenue pendant quelques années la propriété de Denis Basile Lothon, directeur des domaines à St Malo, elle entre en 1826 dans la famille Surcouf , mais en réalité Robert Surcouf venait s’y reposer et chasser sur les terres de Belle-Noë depuis les années 1813 -1814 comme l’atteste une anecdote racontée dans un livre intitulé « Robert Surcouf » et écrit par son petit neveu portant le même nom, livre publié en 1889. Cette anecdote en dit long sur le caractère de ce fameux capitaine et armateur de bateaux corsaires.
Transmise à ses enfants, puis petits neveux, Belle-Noë est délaissée et, comme beaucoup d’autres malouinières du pays de st Malo, elle devient un bâtiment agricole occupé par la famille Collichet, les anciens métayers, devenus propriétaires en 1922.
Ainsi figée dans le temps, Belle-Noë ne subit aucune transformation et se trouvait encore en 2005 dans l’état où l’avaient laissée ses maîtres d’autrefois.
L’anecdote sur Surcouf
C’est à peu près à cette époque (1813-1814) qu’eu lieu un événement qui faillit avoir des suites tragiques et fit classer Robert Surcouf parmi les opposants au gouvernement royal. Pour désigner les hommes qui avaient conservé des sympathies pour le gouvernement impérial, les royalistes les appelaient « libéro ». On savait que l’ancien corsaire gardait toujours au fond de son
cœur un souvenir reconnaissant à l’empire, mais nul ne songeait à lui en faire reproche, car toute sa fortune navale s’était faite sous le règne de Napoléon.
Un jour que Surcouf chassait sur ses terres de Bellenoë, ses chiens furent rejoints par ceux de MM. N… et du F…(1) qui chassaient dans les environs. Ces messieurs, ne voulant en rien déranger la chasse de leur voisin, s’efforçaient de rappeler leur meute. Tous les deux appartenaient au parti royaliste et ils avaient donné par ironie le nom de « libéro » à un de leur limier. Surcouf , entendant sans cesse appeler « libéro », libéro », pensa que s’était une allusion déplacée à ses opinions politiques que faisaient ces messieurs qui étaient comme lui de Saint Malo, et dont l’un d’eux était même allié à sa famille. Il fut profondément froissé, et, comme les appels se succédaient, cédant à l’impulsion de sa nature violente, il entra dans une véritable fureur. Courant vers les chasseurs, il les apostropha avec colère. Une discussion commencée en ses termes ne pouvait se prolonger sans danger. Pour y couper court, Surcouf les provoqua en duel, et proposa un combat immédiat, disant qu’il avait des armes à son habitation, où il leur donna rendez-vous dans une heure. Le défi fut accepté et les adversaires se séparèrent. Le corsaire était tout bouillant d’émotion en rentrant chez lui. Il donna l’ordre à Le Goff, son jardinier, de descendre deux sabres d’abordage qui se trouvaient dans sa chambre.
MM. du F.. er N.. se remirent vite de l’emportement auquel ils s’étaient laissés aller en présence de l’attitude provoquante de Surcouf. Ils réfléchirent qu’il était bien dangereux de se battre pour un motif aussi futile avec un adversaire de la force du corsaire, et, devançant l’heure du rendez-vous, ils se dirigèrent vers le château de Bellenoë avec l’intention bien arrêtée de s’expliquer pour éviter un combat inutile. En arrivant ils aperçurent Surcouf en bras de chemise, qui aiguisait consciencieusement sur une meule, que tournait Le Goff, un sabre à longue lame. Cette vue peu réchauffante acheva de les calmer, et c’est avec les idées les plus conciliantes qu’ils abordèrent le capitaine Surcouf, auquel ils présentèrent leurs excuses au sujet du malentendu qui s’était élevé entre eux. Bon comme tous les hommes emportés, le corsaire reconnu à son tour qu’il avait peut-être provoqué l’incident, qui n’eut pas d’autres suites. Seulement cette aventure le rendit suspect aux yeux de ceux qui étaient plus royalistes que le roi, catégorie de gens qui a, paraît-il, existé dans les temps et existera probablement toujours, pour le malheur de ceux qu’ils croient servir.
(1) Note de l’auteur : « Les descendants de ces messieurs habitant encore l’arrondissement de Saint Malo, j’ai cru devoir mettre seulement des initiales »